Hôteliers du Québec et de France, même combat ?

Hôteliers du Québec et de France, même combat ?

Par Frédéric Gonzalo, conférencier et consultant, vulgarisateur marketing, expert en e-tourisme, au Québec.

J’ai rencontré Thomas Yung pour la première fois au courant de l’année dernière, lors des Rencontres Institutionnelles du E-tourisme à Pau, en septembre 2013. Il s’avérait ainsi que nous partageons plusieurs points en commun, notamment une passion pour l’industrie touristique, et plus particulièrement hôtelière. Et nous avons chacun nos opinions sur l’avènement des nouvelles technologies et les bouleversements qu’elles suscitent, des médias sociaux à la distribution en ligne, en passant par la e-réputation et la présence mobile des marques touristiques.

 

RÉALITÉ HÔTELIÈRE DU QUÉBEC

Bien qu’un océan nous sépare, d’aucuns savent qu’il existe une grande synergie entre la France et le Québec, et le modèle français du tourisme est un d’inspiration pour nous, même s’il n’est pas parfait, hein ? C’est pourquoi nous consommons avec intérêt les publications et l’expertise en provenance de vos revues spécialisées, blogues et autres outils de communication portant sur le tourisme numérique. Un article de Thomas avait d’ailleurs fait mouche ici : Booking n’est pas votre ami. Je me suis d’ailleurs permis une allusion en y référant par le titre, plus d’un an plus tard : Booking.com, ni ami, ni ennemi.

hotel-quebec

Au Québec, il n’est pas facile d’opérer un établissement d’hébergement depuis quelques années, que ce soit un gîte, un appart-hôtel, une auberge ou un hôtel. Sans vouloir donner dans la sur-simplification, voici quelques réalités qui expliquent la rude situation dans laquelle on se retrouve en 2014 :

  • Au cours de la dernière décennie, les taux d’occupation n’ont peu ou pas augmenté à l’échelle de la province ;
  • Le RevPAR (revenu moyen par chambre disponible) augmente d’année en année, mais sous le niveau de l’augmentation des coûts d’opération ;
  • Le Québec est l’endroit où le taux de syndicalisation est le plus fort en Amérique du Nord, avoisinant les 40% (versus 30% au Canada, et moins de 20% aux Etats-Unis). Dans le secteur hôtelier, cette syndicalisation contribue à une hausse de la masse salariale d’année en année, de l’ordre de 2-3% (parfois plus) alors que les revenus ne sont pas au rendez-vous ;
  • Le boom (ou la bulle?) immobilier des dernières 15 années résulte en une hausse de la valeur foncière des établissements. Résultat ? Une forte hausse des taxes, que l’on doit absorber en grande partie si l’on veut maintenir une compétitivité dans la tarification – on ne peut tout refiler aux clients – face aux autres destinations internationales.
Au cours des dernières années, plusieurs établissements ont délaissé les investissements et mises à niveau de rigueur pour maintenir la satisfaction des consommateurs, dont le comportement est en évolution rapide, voire exponentielle vis-à-vis des attentes d’il y a quelques années. On ne s’étonnera donc pas d’avoir vu bourgeonné pendant ce temps une multitude d’hôtels boutique, alors que plusieurs hôtels 3 ou 4 étoiles, sans positionnement distinctif ou valeur ajoutée, ont fermé leurs portes récemment.

 

LA RÉVOLUTION DES OTAs

Un autre élément à considérer, et non le moindre, est bien sûr la montée en puissance des agences de voyages en ligne, ou OTA (online travel agencies). Or, et c’est une des grandes différences entre le Québec et la France, le joueur dominant ici est Expedia, né aux États-Unis durant les années 90 et qui occupe le haut du pavé de la distribution du voyage en Amérique du Nord. Ou aurais-je du conjuguer cette dernière phrase à l’imparfait ?

Expedia a longtemps été le seul ou plus important distributeur, même si certains optaient également pour Orbitz ou Travelocity. Savez-vous quelle commission se prend (ou plutôt se prenait) Expedia sur chaque réservation hôtelière ? 25%, et parfois plus, si on optait pour un positionnement privilégié.

Priceline ? Booking ? On ne connaissait pas, ou très peu, il y a de cela encore trois ou quatre ans. Jusqu’au moment où Priceline a décidé de mettre le paquet, en se payant nul autre que William Shatner comme porte-parole, Canadien d’origine mais mieux connu pour son rôle de Capitaine Kirk dans la série originale Star Trek.

Quand Booking s’est mise en tête d’envahir le marché nord-américain, sa structure de commission à 15% était évidemment plus intéressante. Sans oublier un détail fondamental : son modèle d’affaire est plus intéressant, car contrairement au modèle marchand d’Expedia, Booking se paie a posteriori du séjour. Un plus, pour l’établissement hôtelier qui opère avec des flux de trésorerie sans grande flexibilité.

Mais alors, en quoi s’agit-il d’une révolution ? Pour plusieurs hôteliers dans les grands centres urbains au Québec, le pourcentage de réservations en direct sur leur site est en baisse constante, alors que les OTA viennent grappiller dans une tarte qui n’est malheureusement pas en croissance. On paie donc plus en commissions, pour obtenir des résultats similaires à ce qu’on l’obtenait auparavant, en direct. Un hôtelier avec qui je travaille m’avouait qu’en l’espace d’une seule année, en 2013, il avait vu son ratio direct-OTA passer de 70%-30% à 30%-70%, un inversement complet en moins de douze mois !

 

ACTION… RÉACTION !

Les solutions ne sont évidemment pas simples devant cet état de fait, somme toute assez semblable des deux côtés de l’Atlantique. On applaudit vos actions légales visant à réviser les clauses contractuelles de parité tarifaire et de parité de disponibilité, et on aimerait qu’il en soit autant pour ces OTA qui misent sur le nom commercial d’établissements avec lesquels ils n’ont même pas de contrat. Malheureusement, c’est plutôt calme de ce côté de l’Amérique, où l’on ne revendique pas trop, ou du moins pas sur la place publique…

Puis, il y a le mouvement Fairbooking, que j’applaudis, plus pour ses intentions que pour ses résultats et son avenir. Pourquoi ? Tout simplement par manque de notoriété. Vous pouvez lire mon argumentaire de manière plus détaillée ici : Fairbooking vs les OTA : une bataille perdue d’avance.

Au Québec, pendant les dernières séries éliminatoires de hockey, ou plus récemment lors de la Coupe du Monde de foot (on dit soccer au Québec, mais bon), je ne compte plus le nombre de publicités télévisées de Trivago, de Booking.com et de Hotels.com. On parle de campagnes de millions de dollars, en média de masse. Du côté numérique, on apprend que Priceline et Expedia sont deux des plus gros clients de Google AdWords à l’échelle mondiale, le premier ayant dépensé $US 1.8 milliard en 2013, alors que le second en a dépensé « que » US$ 1 milliard durant la même période. Pendant ce temps, Fairbooking mise sur le bouche à oreille, n’ayant pas les ressources de supporter une campagne publicitaire grand public. Si on n’a pas les moyens de nos ambitions…

 

ALORS, MÊME COMBAT ?

Comme je disais, j’applaudis l’initiative Fairbooking et je me dis qu’avec une mise de fond de la part d’intervenants de l’industrie et du Ministère du Tourisme, une telle approche serait souhaitable au Québec aussi. Mais un volet d’éducation « grand public » serait incontournable selon moi, ainsi qu’un site fédérateur de cette initiative, transactionnel et conçu aux normes d’aujourd’hui (responsive design, n’est-ce pas ?). Utopique ?

Enfin, un dernier élément, et non le moindre : la menace collaborative ! Autant en France qu’au Québec, on parle d’AirBnB, de Blablacar, d’Abritel, de Cookening et d’autant de sites qui mettent les consommateurs directement en lien avec d’autres consommateurs dans ce qu’on appelle l’économie de partage. Or, quand on creuse un peu, on observe surtout de nouveaux comportements de consommateurs, une manière de voyager qui rappelle un retour aux sources, diront certains. Ou une menace pour l’industrie hôtelière, diront d’autres.

Au Québec, des pourparlers sont en cours présentement entre AirBnB et le Ministère du Tourisme afin de prélever les taxes (provinciales et fédérales), un écueil important du modèle actuel. Jusqu’où pourra-t-on aller dans l’harmonisation des procédés d’affaires, nul ne sait. Mais il s’agit certainement d’un dossier qui continuera de faire couler de l’encre, car l’enjeu demeure : comment faire respecter la concurrence dans ce nouveau contexte, où des hôteliers se plient à la réglementation en vigueur alors que Monsieur et Madame Toutlemonde peut s’improviser hôte d’un gîte, d’un appartement, qui d’un château.

Qu’en pensez-vous : France et Québec, même combat ? Laissez vos commentaires et questions dans la section ci-dessous.

Note de Thomas Yung: Merci Frédéric d’avoir partagé ce « comparatif » France-Québéc, je trouve que, oui, nos situations sont extrêmement similaires (mondialisation oblige). Je tiens à préciser que FairBooking sort son nouveau site internet fin juillet et de ce que j’ai vu, c’est une vraie plateforme de réservation, ergonomique et capable de concurrencer les plus grands, son succès dépend de ce que les hôteliers en feront !

Le visuel du haut vient du site Bonjour Québec, le site officiel du Tourisme Québécois. Le visuel de Priceline vient de …. Priceline !

2 Comments

  1. 16 juillet 2014 at 20 h 17 min

    Bonjour à vous chers Thomas et notre cousin Québeccois Mr Gonzalo !

    Excellent article qui nous donne une idée de ce qui se passe dans la Belle Province ! Excellente continuation à tous les deux et merci pour votre contribution.

  2. 28 novembre 2014 at 16 h 48 min

    Merci.
    Faire un autre Fairbooking au Quebec me semble dommage. Mieux vaut internationalier Fairbooking. nos clients sont Internationaux, déjà. Comme dit Fairbooking, ensemble, nous sommes plus forts...